- Année: 3e
- Prérequis : les exercices préparatoires à la critique historique: distinguer traces du passé et travaux postérieurs, sélectionner des documents pertinents, évaluer la fiabilité d’un document.
- Durée approximative: 60 minutes
1. Contextualisation dans le parcours en Histoire :
Le programme préconise d’approcher le travail de la compétence “critiquer” de manière complète en fin de 3e année.
L’élève aura donc préalablement appris à distinguer une trace du passé d’un travail postérieur, à identifier un document pertinent et à évaluer la fiabilité d’un document en se limitant à l’un ou l’autre argument.
La proposition d’exercice de compétence ici trouvera donc sa place après l’installation et la vérification de la maîtrise de ces apprentissages chez l’élève.
2. Documents :
Document 1
“Le prince Charles [Martel] dresse bravement une armée contre eux [les Arabes] et, en chef de guerre, se précipite sur eux. Avec l’aide du Christ, il renversa leurs tentes, courut au combat pour faire un carnage et après que leur roi Abd al-Rahmân eut été tué, il les abattit, détruisit leur armée, les tailla en pièce et les écrasa.” Portrait de Charles Martel, dans PSEUDO-FREDEGAIRE, Chronique des temps mérovingiens, VIIIe S. |
Document 2 :
“[Abd al-Rahmân] un homme vertueux qui mena une expédition contre le pays des Francs qui peuplent les frontières les plus lointaines de l’Espagne. Il fit un butin considérable et vainquit ses ennemis. (…) Il mena une nouvelle expédition et mourut, martyr de l’Islam, avec tous les siens. Ceci eut lieu selon Yahyâ qui le tient de Al-Layt, dans l’année 115 (733-734 PCN).” L’auteur date selon ses sources la bataille de Poitiers de 733 et non 732. |
Document 3
A ce moment, pendant sept jours, les deux adversaires se harcelèrent pour choisir le lieu de la bataille, puis enfin se préparèrent au combat, mais, pendant qu’ils combattent avec violence, les gens du Nord, demeurant à première vue immobiles comme un mur, restent serrés les uns contre les autres, telle une zone de froid glacial, et massacrent les Arabes à coups d’épée. Mais lorsque les gens d’Austrasie*, supérieurs par la masse de leurs membres et plus ardents par leur main armée de fer, en frappant au cœur, eurent trouvé leur roi, ils le tuèrent ; dès qu’il fait nuit, le combat prend fin, et ils élèvent en l’air leurs épées avec mépris. Puis, le jour suivant, voyant l’immense camp des Arabes, ils s’apprêtent au combat. Tirant l’épée, au point du jour, les Européens observent les tentes des Arabes rangées en ordre comme les camps avaient été disposés. Ils ne savent pas qu’elles sont toutes vides ; ils pensent qu’à l’intérieur se trouvent les phalanges des Sarrasins* prêts au combat ; ils envoient des éclaireurs qui découvrirent que les colonnes des Ismaélites* s’étaient enfuies. Tous, en silence, pendant la nuit, s’étaient éloignés en ordre strict en direction de leur patrie. Les Européens, cependant, craignent qu’en cachant le long des sentiers, les Sarrasins ne leur tendent des embuscades. Aussi, quelle surprise lorsqu’ils se retrouvent entre eux après avoir fait vainement le tour du camp. Et comme les peuples susdits ne ce soucient nullement de la poursuite, ayant partagé entre eux les dépouilles et le butin, ils s’en retournent joyeux dans leurs patries. |
Document 4
“La suite des relations entre Islam et monde latin n’a pas été une succession de conflits. Les garnisons arabo-berbères de Septimanie*, puis de Provence n’ont pas connu de révoltes des populations locales. Et les pouvoirs franc, omeyyade* ou simplement locaux […] n’ont pas hésité à nouer des relations commerciales, diplomatiques, voire des alliances, où le facteur religieux n’a que peu d’importance. Le conflit n’était pas permanent. Evidemment, d’un côté comme de l’autre, victoire comme défaite étaient vues comme des signes de la volonté de Dieu. Mais l’affrontement n’a pas été une guerre sainte, comme on l’entendra à partir du XIe siècle, lors de la Reconquista* et des Croisades*. Difficile, dès lors, de considérer la bataille de Poitiers comme l’une des étapes majeures d’un affrontement séculaire, de toute façon fantasmé, entre Islam et chrétienté.” |
Lexique :
-“Chronique mozarabe” : il s’agit d’une suite de documents rédigés à partir de 754 par des moines chrétiens vivants en Espagne à la période islamique –Austrasie : il s’agit du royaume franc à l’époque mérovingienne. -Sarrasin : Terme désignant les populations musulmanes du Moyen-Âge. Dérivant d’un mot grec désignant les Arabes, il a été utilisé par les populations occidentales, avant de tomber en désuétude vers la fin du XIXe siècle. -Ismaélite : nom donné parfois aux Arabes, comme descendants d’Ismaël. –Septimanie : correspond approximativement à la Gaule narbonnaise -Omeyyade : dynastie arabe qui gouverne le monde musulman de 661 à 750 -Reconquista : « Reconquête » en espagnol. Terme traditionnellement employé pour désigner l’avancée des troupes et royaumes chrétiens en Espagne, au détriment des royaumes musulmans, entre le XIe et le XVe siècles. -Croisades : expéditions militaires pour mener le pèlerinage des chrétiens en Terre sainte. |
Notices biographiques :
-PSEUDO-FREDEGAIRE : sous ce nom, se cache une compilation de textes constitués en plusieurs étapes dans la gaule du haut Moyen-Age. Sous forme de chronique, les textes relatent des événements depuis la création du monde jusqu’à l’avènement de Charlemagne. L’ouvrage est anonyme et le nom de Frédégaire apparaît pour la 1ere fois en 1579. Au VIIIe siècle, l’ouvrage est transporté en Austrasie, et tombe aux mains d’autres historiens, dévoués aux carolingiens. En 736, Childebrand, frère de Charles Martel, en fait exécuter une copie. Certains passages sont remaniés et un court supplément original allant de 724 à 734 est ajouté. C’est ce qu’on appelle la première continuation de Frédégaire. -IBN AL-HAKAM (803-871): historien égyptien qui écrivit l’ouvrage Conquête de l’Egypte, de l’Afrique du Nord et de l’Espagne. Il s’agit de la première chronique en langue arabe relatant cet événement, et la principale source. -William BLANC (1976-…): Historien et doctorant en histoire médiévale. Il collabore au magazine Histoire et images médiévales et a coécrit Les Historiens de garde (Inculte, 2013) avec Christophe Naudin et Aurore Chery. Il est passionné du Moyen Âge et de ses représentations dans les arts populaires -Christophe NAUDIN (1975-…) : professeur d’histoire-géographie. Il a étudié l’histoire de la Méditerranée médiévale à Paris-I et collabore au site « Histoire pour tous ». Il est l’un des auteurs des Historiens de garde (Inculte, 2013). |
3. Consignes pour la compétence :
Que s’est-il réellement passé à Poitiers en 732 ? Les musulmans ont-ils vraiment été stoppés dans leur conquête de l’Europe par Charles Martel ?
Pour répondre à cette question, tu décides de mener l’enquête en consultant des traces du passé et des travaux postérieurs et en te montrant critique vis-à-vis du matériel documentaire recueilli.
Pour cela, il t’est demandé de :
- distinguer parmi les documents récoltés les traces du passé et les travaux postérieurs. Justifie ta réponse.
- d’identifier les documents pertinents, et justifie ta réponse.
- pour chaque trace du passé que tu juges pertinente, d’énoncer les raisons de lui faire confiance et les raisons de s’en méfier. 2 raisons sont énoncés pour chaque document sélectionné.
Veille à justifier tes réponses en t’appuyant sur les documents et en t’aidant des annexes.
4. Exemple de production(s) attendue(s)
- Distinguer : trace du passé /travail postérieur et documents pertinents ou non-pertinents.
Documents | Trace/travail | Pertinence |
Doc.1 | Trace, car le document date du VIIIe siècle selon sa notice bibliographique. La notice biographique indique que la première continuation concerne la période de 724 à 734, période correspondant à l’objet de recherche | Pertinent, car on peut en déduire à l’aide du contenu du document et de la notice biographique qu’il s’agit de la période, des protagonistes et a priori du lieu correspondant à l’objet de recherche |
Doc.2 | Travail postérieur et trace. L’auteur du document a vécu au IXe siècle, c’est à dire après la bataille de Poitiers de 732, on peut donc dire qu’il s’agit d’un travail postérieur. Cependant, il s’agit du premier document en langue arabe concernant les événements. On peut dès lors le considérer comme la première trace en langue arabe concernant les faits (jusqu’au jour où peut-être un autre document en langue arabe et plus proche de la bataille de Poitiers sera trouvé) | Le document est pertinent, car il parle d’une expédition des Arabes en pays Francs au-delà des frontières les plus lointaines de l’Espagne vers 733. |
Doc.3 | Trace datant du milieu du VIIIe siècle selon sa notice bibliographique | Pertinent, car il concerne la bataille de Poitiers entre les Arabes et les gens du Nord au VIIIe siècle |
Travail postérieur datant de 2015, soit 14 siècles après la bataille de Poitiers. | Non pertinent. En effet, le document parle des relations entre l’Islam et le monde latin. Il ne permet pas de savoir si Charles Martel a réellement arrêté les Arabes dans leur conquête lors de la bataille de Poitiers de 732 |
- Énoncer des raisons de faire confiance ou de s’en méfier:
Documents | Raisons de faire confiance | Raisons de s’en méfier |
Doc 1 | – On ne connaît pas l’auteur réel du document, d’autant plus qu’il semble en avoir plusieurs;
– On ne sait pas s’il s’agit de l’original ou de la copie exécutée à la demande de Childebrand; – Les historiens qui se sont chargés de la partie concernant le VIIIe siècle étaient dévoués aux Carolingiens; -Les termes et le ton utilisé dans le texte sont clairement partiales, favorable à Charles Martel : bravement, chef de guerre, se précipite, … -… |
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Doc 2 | -Les termes et le ton utilisé dans le texte sont clairement partiales, favorable à Abd al-Rahmân : vertueux, il fit un butin considérable, martyr de l’Islam, …
– Né après les faits, il n’a pu s’appuyer que sur des témoignages indirects pour rédiger sa chronique; -… |
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Doc 3 | – Connaissant l’Islam de l’intérieur, les mozarabes peuvent avoir eu des propos plus nuancés concernant les Arabes;
– Les chroniques sont rédigées peu de temps après la bataille – pas à chaud pendant ou directement après les faits, mais pas des décennies plus tard; -… |
-la chronique est rédigée par des Mozarabes, c’est à dire des moines chrétiens qui ont vécu ou fuit la conquête arabe. Les propos peuvent être orientés en conséquence.
-les chroniques ont été rédigées postérieurement à la bataille de Poitiers. |
5. Apprentissages à structurer dans le cours
- Ressources :
- repère temporel : bataille de Poitiers (732)
- savoirs : traces du passé, travail postérieur, pertinence d’un document, Reconquista, Francs, …
- savoir-faire : Distinguer une trace du passé d’un travail postérieur, déterminer la fiabilité d’un document, identifier un objet de recherche, identifier la pertinence d’un document, lire une notice bibliographique, …
6. Exemple de grille d’évaluation des apprentissages et des acquis
La pondération est fonction du niveau de l’apprentissage.
Éléments évalués |
Critères de qualité | Pondération | |
Savoir-faire | Trace/travail | L’élève a correctement identifié chaque document comme étant une trace ou un travail postérieur | 0-1-2-3-4 |
L’élève a correctement justifié ses choix | 0-1-2-3-4 | ||
Pertinence | L’élève a correctement identifié les documents (non-)pertinents | 0-1-2-3-4 | |
L’élève a correctement justifié ses choix | 0-1-2-3-4 | ||
Fiabilité | 2 raisons de confiance et/ou de méfiance sont énoncés par document sélectionné | 0-1-2
0-1-2 (0-1-2)* |
- Le doc.2 pouvant être considéré à la fois comme une trace ou un travail, l’enseignant veillera a attribué ou non les points de la fiabilité en fonction de la sélection et surtout de la justification opérée par l’élève pour ce document.
7. Piste(s) pour le transfert et/ou l’évaluation des apprentissages
La situation peut être transférée à toute autre thématique du cours d’histoire.
8. Pour aller plus loin …
- Webdoc de l’Institut du Monde Arabe : “Vous avez dit arabe ?”, consulté le 16 mars 2020
- Charles Martel a-t-il réellement arrêté les arabes à Poitiers, par l’Institut du Monde Arabe, Paris, consulté le 16 mars 2020.
- G. JEHEL, S. JEHEL, Les relations des pays d’Islam avec le monde latin, du Xe siècle au milieu du XIIIe siècle, Textes et documents, Paris, 2000.